lundi 18 avril 2011

Nos Jouets 70-80 (de Sébastien Carletti et Vincent D.) ou Comment capitaliser sur sa vacuité...



L'Homme est une bête extraordinaire.

Prenez par exemple un collectionneur, non celui qui engrange les voitures de sport ou les Picasso mais le spécimen de base qui n'a pour seule considération que d'accumuler à tout prix dans des vitrines ou sur des étagères poussiéreuses, des boites de camembert... Eh bien même cette bête là, malgré toute la vacuité de son existence, peut un jour éprouver  un besoin de reconnaissance...

Au niveau 0, cette volonté de briller parmi ses congénères peut déjà produire des résultats assez surprenants telle cette vidéo (d'une série de 9!) postée sur Youtube:




Ou ce village Schtroumpf reconstitué dans le jardin de son propriétaire:


"J’ai attendu que l’herbe soit tondue sinon ce n’était même pas la peine
d’essayer de faire tenir les figurines par terre".

Au stade supérieur, c'est le livre auto-édité, souvent mal photocopié et fait maison, parfois imprimé professionnellement à quelques dizaines d'exemplaires tel l'ouvrage de Stéphane Faucourt, From Meccano to Trilogo et par lequel l'auteur cherche alors à assouvir un désir plus profond, celui de tenter d'attirer sur son nom l'ombre du lustre d'un autre en produisant un ouvrage qu'il finira par auto-proclamer bible ou référence en la matière: "This book is the Reference for Meccano and Trilogo SW vintage". (cf. site de l'auteur).




Sorti aux éditions Hors-Collection fin 2008, Nos Jouets 70-80 représente le stade ultime de cet égocentrisme exacerbé. Car en publiant son recueil, il s'agit bien pour son auteur de faire partie intégrante de l'univers de son obsession...



Dans cet esprit, celui-ci n'échappe pas non plus aux codes du genre (des photos de jouets donc) et ce malgré une mise en page plutôt soignée et quelques rares bonnes idées dues au co-auteur de l'ouvrage, Vincent Dubost, comme ces clichés de gamins immortalisés avec leurs jouets et qui jalonnent les 144 pages de l'album...

Pour le reste, rien de bien original. Nos Jouets reprend un principe déjà utilisé dans La Vie du Jouet ou Dixième Planète dès 2000 (des dossiers présentant les jouets de l'époque) et surtout n'évite pas quelques erreurs de débutants qui nuisent à l'ensemble comme cette volonté de vouloir absolument tout y mettre et du coup d'en mettre trop.




Car à vouloir ratisser trop large pour contenter tout le monde (chaque lecteur devant au minimum trouver l'un de ses jouets pour motiver son achat), l'ensemble apparaît trop chargé et dans ce catalogue fourre-tout, quasi exhaustif, rien n'attire désormais plus vraiment l'œil. Aussi aurait-il fallu faire des choix plus drastiques pour ne retenir que les incontournables et autres best-sellers de l'époque sans pour autant en imputer la faute au cahier des charges imposé par l'éditeur: "Et la plupart qui ont découvert le résultat de nos intiative pensent qu'ils auraient fait différemment, et donc mieux. Mais ils occultent certains facteurs (nombres de pages, prix d'achat, etc)". (Forum Backintoys).

La conséquence est cet autre grief imputable à l'ouvrage et bien plus dommageable, les textes trop courts et niais, sentiment d'ailleurs accentué par la présence de Groquik qui accompagne le lecteur trentenaire dans cette démarche "débilisante" comme un gosse de 5 ans! Mais on l'aura compris, la présence de la mascotte de Nesquik sur l'invitation des auteurs s'intègre encore dans ce nombrilisme plus ou moins conscient, à savoir s'approprier définitivement par la photo puis par son image - sorte de certificat de propriété définitif - une partie de la mémoire collective en devenant son dépositaire officiel: "Et oui, comme on parle de jouets disparus (pour la plupart), on voulait un "guide" emblématique de l'époque, lui aussi disparu. Les négo avec Nestlé on duré plus d'un an. Mais je suis heureux que ce retour officiel, même s'il reste un clin d'oeil, ait eu lieu par le biais de notre ouvrage". (Forum Nolife).
           
Tout au plus gentillet (quoique assez cher si l'on considère que l'iconographie proposée est disponible sur la toile gratuitement), cet album aura toutes les chances de trouver sa cible et de séduire le nostalgique de passage qui devra quand même débourser près de 25 euros pour retrouver un sentiment furtif qui ne perdurera qu'un instant...

Car le lecteur plus exigeant s’apercevra rapidement de ce qui fait cruellement défaut à la forme (ici un catalogue)... un fond tout simplement ou tout au moins une histoire... En clair, il ne faudra donc point chercher autre chose que des photos car on y trouvera rien d 'autre.

Reste comme souvent, que le plus important n'est pas l'ouvrage en lui même mais ce qu'il nous apprend sur son auteur. À 34 ans, Sébastien Carletti, informaticien est ce qu'on appelle communément un geek que vous pourrez croiser invariablement en T-shirt Atari ou Albator et qui réussit la prouesse de coller à tous les clichés du genre dont cette fâcheuse tendance à se rependre de forum en forum (voir parfois à s'épancher de manière impudique) pour parler de lui et uniquement de lui, quitte à paraître suffisant et imbu de lui-même: "Je ne me fâche pas. J'explique. Et il reste qu'il y a des photos d'objets que certains "pointus" ne connaissent pas... ou alors qu'ils n'ont plus plus revu en boîte depuis l'époque de leur sortie. (...). Et les photos d'époque... (NDLR: les photos de gamins) on trouve ce genre de chose, en aussi grande quantité, sur Internet ? ". (Forum Touscollectionneurs).

Ainsi, si l'auteur a bien conscience de pratiquer une auto-promotion éhontée en multipliant les interventions sur les forums spécialisés, procédé somme toute relativement courant sur le net: "Je mérite d'être pendu haut et court pour cette vile auto-promotion, mais j'ai parcouru les topics et ai constaté que le sujet n'avait jamais été évoqué, donc... " (Forum Nolife), il est toutefois nettement plus rare qu'un narcissisme s'affiche dans de telles proportions.

Le lecteur curieux de la nature humaine et de cette communauté étrange pourra ainsi apprendre au gré des posts de Robocolt les tenants et aboutissants de son aventure éditoriale:


- ou comment il a été victime d'un complot: "Nous n'en gardons pas forcément un bon souvenir, dans la mesure où l'une des personnes contactées dans une grande maison d'édition a finalement joué les faux éditeurs/vrai apporteurs d'affaires. Faisant mine de présenter et de défendre le projet en interne, il nous a en fait doucement mais surement orienté vers un autre éditeur touchant une commission au passage... au détriment des auteurs, forcément. Nous n'avons eu le fin mot de l'histoire qu'après la signature de notre contrat, et par hasard... notre projet nuisait en fait au sien." (Interview Shunrize);
- ou comment il a été spolié: "On a eu notre réponse (...) notre apporteur d'affaires touche 2% du prix de vente HT de notre livre. Nous, en tant qu'auteurs, somme à 3% chacun (...) hallucinant." (Forum Superpouvoir).
- ou comment on tente de surfer sur son succès: "Nos Jouets 70-80, c'est nous qui avons trouvé ce titre début 2008. L'éditeur voulait Les jouets des années 70-80. (...) Et pour donner une impression de collection, vlan, on reprend la même structure de titre pour celui sur les DA... " (Forum Backintoys).
- ou comment il est devenu un sportif émérite: "Je me suis mis à la musculation en juin 2005... et je suis tombé sous le charme... je pratique 4 à 5 fois par semaine, natation en prime. " (Forum planetemuscle).


Etc, etc...


Or s'il est ici nullement question de remettre en doute la véracité des propos de son auteur, il est assez effarant de constater qu'un livre au demeurant assez sympathique ait pu être LE JOUET de tant de vicissitudes...


Ainsi, on se gardera bien de ne pas s'en mêler en évitant de l'acheter, et ce sans regret, l'auteur veillant de toute manière au grain de son succès:
                 - un collectionneur: "je le vois dans toutes les librairies que je fréquente et à chaque fois l'air de rien, je le sors du rayonnage pour le mettre en plat et en tête de gondole... "
                  -  l'auteur: "je fais la même chose, c'est normal... ". (Forum Backintoys).


Bref, un livre qu'on pourra éventuellement feuilleter entre 2 rayons, sans oublier qu'ici bas, rien n'est innocent.
           


                                                                 
                                                                                            LE RAPPORTEUR.

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